Après s’être faufilé par les cuisines et avoir grimpé quelques marches, il faut ouvrir une porte qui ne laisse en rien présager ce qui se trouve derrière. Un endroit reculé, presque caché, où le chef collectionne les livres de cuisine par centaines. Dans sa bibliothèque, qui couvre les murs du sol au plafond, Jean-François Piège se livre sur son insatiable passion.

Découvrez l’interview de Jean-François Piège :

A&G : En quoi le livre de cuisine est important pour un chef ?

JFP : C’est un objet incroyable, un témoignage précieux. Un livre c’est la transmission, le partage. Mais c’est aussi et surtout le faire savoir. Le savoir-faire ne peut se perpétuer sans le faire savoir.

Combien en possédez-vous ?

Entre 8 et 10 000.

Sur quels critères un ouvrage attire votre attention ?

Ils ont totalement évolué avec le temps. Avant, j’achetais absolument tout ce qui sortait. Aujourd’hui je suis plus sélectif, je craque selon l’envie et les auteurs

Qu’est-ce qu’un bon livre de cuisine ?

Après lecture, je dois connaître la personne qui l’a écrit. Je veux comprendre ce qu’elle a voulu dire, où elle a voulu m’emmener. Un livre réussi c’est un auteur qui s’investit et qui n’hésite pas à mettre une part de lui-même au fil des pages.

Vous accordez de l’importance au visuel, au texte, aux deux ?

Tout dépend de l’ouvrage que j’ai entre les mains. Il n’y a pas forcément de logique. Parfois les deux. Parfois l’un ou l’autre. J’ai envie de lire certains livres et d’en regarder d’autres.

Vous êtes plutôt porté sur l’histoire de la cuisine, les recettes, les portraits de chef… ?

Un peu tout ! Je possède un livre extrêmement rare, Les Dons de Comu de François Marin, édité en 1739. La phrase la plus importante de l’ouvrage se trouve sur la première page. Il est écrit : « Ouvrage non seulement utile aux officiers de bouche pour ce qui concerne leur art, mais principalement à l’usage des personnes curieuses de savoir donner à manger, et d’être servies délicatement, tant en gras qu’en maigre, suivant les saisons et dans le goût le plus nouveau. » Ce texte est fascinant tant il est actuel. C’est presque une profession de foi que l’on pourrait donner à tous les cuisiniers.

Un auteur fétiche ?

Je ne peux pas en citer qu’un seul ! Dans les anciens, j’adore Edouard Nignon. Je suis un grand admirateur de Prosper Montagné, auteur du sublime Le Grand Livre de la Cuisine. Je suis tellement admiratif de la poésie avec laquelle ils traitent la cuisine. Par exemple, moi je dirais  « dénerver un filet d’agneau » eux manieront les mots avec style « choisissez un bel agneau, privez-le de ses nerfs… ». Ca change tout, non ? Dans les contemporains, j’apprécie Michel Bras et Alain Chapel. Michel Guérard et Joël Robuchon sont également incontournables à mes yeux.

Thoumieux
Thoumieux
© Arnaud Dauphin Photographie

Est-ce que vous prêtez vos bouquins ?

Absolument pas ! Je déteste ça !

Quel est le plus cher de votre bibliothèque ?

L’Heptamérum des gourmets d’Edouard Nignon, sa valeur est inestimable.

Et le plus cher à vos yeux ?

Celui que je n’ai pas encore.

Le dernier acheté en date ?

L’ambroisie de Bernard et Mathieu Pacaud.

Est-ce que vous commandez en ligne ?

Ca m’arrive mais j’ai toujours feuilleté le livre avant.

Qu’avez-vous ressenti lorsque vous avez eu votre propre premier ouvrage entre les mains ?

C’est une sensation très étrange. On déteste son livre une fois qu’on l’a fini. On a donné beaucoup, on veut passer à autre chose. On commence à l’apprécier bien après, une fois que tout est loin derrière. Parce que même si le bouquin vient tout juste de sortir, c’est forcément du passé. Et j’ai pour philosophie de toujours regarder vers l’avenir…

Quand sortira le prochain ?

Il arrive bientôt, le 15 mai. Il s’intitule Manifeste sur l’art de manger aux éditions Autrement. C’est une collection de plusieurs opus dont Manifeste hédoniste de Michel Onfray, Manifeste féministe de Laure Adler et Manifeste pour la vie artiste de Bartabas.

Pour finir, 3 livres coup de cœur…

Dernièrement, j’ai dévoré le livre de Michel Troisgros sur La Colline du Colombier. Je ne suis jamais allé dans cet endroit mais l’ouvrage donne très envie d’y aller !
Mais aussi Origin du chef installé en Australie Ben Shewry et le très joli Livre Blanc d’Anne-Sophie Pic. Sans doute par nostalgie de mes racines valentinoises.

http://www.jeanfrancoispiege.com/fr