Savigny-lès-Beaune vit au rythme des vignes, si bien que le nom même de l’Ouvrée prend racine dans l’histoire locale, résolument bourguignonne. Le terme n’est autre qu’une unité de mesure qui désigne la surface pouvant être bêchée par un vigneron en une seule journée. Christophe Ledru a encore renforcé le clin d’œil en nommant son restaurant Le 428, soit le nombre de m2 d’une ouvrée. La référence était presque naturelle lorsque l’on jette un œil à l’extérieur de l’établissement. Bordé de verdure et de forêt d’un côté, les vignes sont adossées à l’Ouvrée de l’autre. En cette saison, il suffit de tourner la tête pour apercevoir les vendanges qui battent leur plein. Comment le natif de Picardie, qui a passé l’essentiel de son enfance en Bretagne, a troqué la fraicheur du littoral contre la côte beaunoise ?
L’OCCASION FAIT LE LARRON
Enfant, Christophe Ledru n’est pas scolaire. Rongé par l’ennui, il ressent le besoin de faire quelque chose avec ses mains et de mettre son énergie au service d’autre chose que du tableau noir. Même si rien ne le prédestinait à la cuisine, c’est très tôt, à l’âge de 14 ans, qu’il trouve sa voie en débutant son apprentissage. Il découvre les fourneaux au Vert Pommier, un restaurant de village où il apprend les rudiments de son futur métier, dans une brigade de 3 personnes. De fil en aiguille, il sort premier de son CFA en formation pratique. Le bac professionnel lui tend les bras et il consent à le passer pour faire plaisir à son père. Une fois ses diplômes obtenus, c’est en quelque sorte la délivrance, il peut enfin tracer sa propre route. C’est sans aucun plan préétabli qu’il se rend à Paris sans se douter qu’il trouverait tout de suite de quoi mettre ses compétences en action. Christophe Ledru se définit lui-même comme un homme d’opportunités et c’est ce qui a construit son parcours. Du Meurice à Paris sous les ordres de Marc Marchand au Relais Champagne à Reims aux côtés de Philippe Augé jusqu’au Plaza Athénée puis L’Auberge des Glazicks où il passe sous-chef et contribue à obtenir la deuxième étoile, il passe de brigade en brigade au gré des rencontres. Jusqu’à partir à Londres sur un coup de tête et intégrer le Dorchester puis le restaurant Texture.

EN TERRES BOURGUIGNONNES
Après avoir expérimenté les adresses étoilées, les brigades d’envergure et le rythme effréné qui les accompagnent, Christophe Ledru se voit proposer les cuisines du Cèdre à Beaune. Il y passe trois années où il se sent à l’étroit, tenu par l’exigence d’une cuisine traditionnelle. L’occasion de s’exprimer librement s’offre à lui grâce à un business angel qui lui propose de financer son propre établissement. Le retour aux sources s’opère avec l’acquisition d’un restaurant de village, l’Ouvrée, et la constitution d’une brigade de 3 personnes. Séduit par les lieux et l’environnement, il effectue rapidement les travaux nécessaires à l’ouverture du restaurant et de l’hôtel. Rattrapé par les confinements liés à la Covid, il se convertit en chef de chantier, loue une pelleteuse et commence les travaux extérieurs. Petit à petit, jour après jour, il se fait remarquer et saluer par les habitants qui passent devant l’établissement. Le chef décide alors de vendre des plats à emporter tous les jours avec un succès fulgurant, et il n’en fallait pas plus pour que son intégration sur la côte de Beaune soit complète. C’est ainsi que le chef a commencé à prendre la mesure de la solidarité qui peut s’installer aux confins de la Bourgogne et de l’importance de l’appartenance à une communauté.


DU CHAMP À L’ASSIETTE
La notion de circuit court et même ultra court prend désormais tout son sens. Dorénavant connaisseur de la région, Christophe Ledru sélectionne ses producteurs avec beaucoup d’attention. Pour la viande, il fait confiance à la Ferme de Clavisy et choisit ce qu’il va acheter le jour de la livraison, selon les pièces disponibles. Concernant les jeunes pousses, il travaille avec le Potager des Ducs qui passe, lui aussi, avec sa cagette verdoyante pour proposer ses plus belles réalisations. Il fait également appel à Patrice Sanchez et ses pigeons de Corton ou encore à la Pisciculture de Crisenon pour avoir de belles truites bio de l’Aube. Les compléments de légumes arrivent au jour le jour, en fonction de la récolte, grâce à Noël, un passionné de potager à la retraite, qui n’hésite pas à emmener ses tomates ou ses champignons. Ceux qui cultivent les jardins communaux, en contrebas du restaurant, proposent eux aussi leurs produits : « Ici, on est à la campagne, c’est normal de se fournir juste à côté de chez soi. » explique Christophe Ledru. Et de poursuivre : « En échange je leur donne tout le compost du restaurant ». Il nourrit d’ailleurs l’envie de faire pousser ses propres asperges dans un avenir proche. Quelques exemples de petits producteurs du coin qui permettent au chef de travailler des produits d’une fraicheur incroyable puisqu’à peine récoltés, ils sont déjà cuisinés ! Bien sûr, le respect de la saisonnalité est une valeur fondamentale dans les cuisines du chef mais elle est renforcée par la logique de favoriser et stimuler l’économie locale : « Mon pain est fait sur-mesure et provient exclusivement de la boulangerie La Vigneronne située juste à côté. De même, la charcuterie servie au petit déjeuner est préparée par la boucherie Au Savignien, au cœur du village ». L’autre avantage notable est qu’à l’Ouvrée, le frigo n’est jamais vide puisqu’il y a toujours quelqu’un pour l’alimenter. Une douceur de vivre, simple et évidente, qu’affectionne particulièrement Christophe Ledru : « J’aime la vie au gré des saisons, des paysages, de l’environnement. Finalement, je ne suis pas si loin de mes origines : en Bretagne on vit avec la mer, en Bourgogne on vit avec la vigne. Cela revient au même, à vivre avec la terre et ce qu’elle offre. »


DÉGUSTATION À l’AVEUGLE
Cuisiner au rythme des saisons et de ses caprices impose de mélanger une certaine dose de spontanéité et un soupçon d’inspiration. Pour être cohérent et en adéquation totale avec sa façon de s’approvisionner et de travailler, L’Ouvrée ne propose aucune carte. En effet, le restaurant ne fonctionne qu’avec des menus en 3, 4, 5 ou 7 services. Le repas d’un jour n’est pas celui du lendemain puisque les recettes peuvent changer d’un service à l’autre. Quotidiennement le chef se réinvente, s’adapte à la météo, à son humeur, et traduit ses envies et son état d’esprit dans sa cuisine. Pour pouvoir se le permettre, il fait appel à son expérience, il goûte les produits, les mélange pour identifier les bonnes associations et fait des essais régulièrement. « Tout fonctionne si c’est dosé correctement » explique-t-il. Cependant, il ne s’autorise pas plus de 3 goûts différents car plus, c’est trop et la finesse devient difficile à comprendre. S’il aime les associations originales à l’image de la glace à l’olive et son biscuit fraise servi au cours de l’été, il apprécie aussi de revenir à ses classiques comme les ravioles de langoustines, l’agneau au maïs ou le foie gras cassis, pain d’épices. « Le but n’est pas d’être toujours spectaculaire mais d’être constant et de satisfaire le client », ajoute-t-il.


Il arrive parfois que ses convives lui affirment que, naturellement, ils n’auraient pas choisi ce qu’ils ont dégusté et qu’ils ont été agréablement surpris. Objectif atteint pour le chef qui prend plaisir à revisiter les produits que les gens délaissent comme la betterave, le salsifis ou le coco de Paimpol : « Réhabituer ma clientèle à manger équilibré et varié fait partie de mes aspirations » déclare-t-il. Avec une grande variété de produits, il invente jour après jour et exploite chaque matière brute au maximum pour minimiser les déchets et les pertes. Si les recettes et les associations de saveurs peuvent être improvisées, la technique, elle, ne l’est pas. Concernant les cuissons par exemple, le chef ne fait référence qu’à des grands classiques du genre avec un penchant pour la cuisson sous vide à la minute, une méthode spécifique apprise en Angleterre. Adepte des valeurs d’Alain Ducasse, il transmet volontiers sa façon de travailler et ses secrets de fourneaux à son jeune sous-chef Alexandre Marza, déjà passé par les cuisines de l’établissement étoilé, l’Amaryllis. Si la dégustation réserve son lot de surprises à chaque visite, la carte des vins, elle, se révèle entièrement. Toujours dans le même état d’esprit, elle fait la part belle à l’ultra local et à la commune de Savigny-lès-Beaune. Quoi de plus naturel quand on sait que l’ancien propriétaire de l’Ouvrée possédait également les vignes qui surplombent le restaurant, produisait son vin sur place dans la cave et le vendait à table. Un vin toujours produit par les descendants, que le chef n’hésite pas à acheter avant même sa récolte. Faire confiance à Christophe Ledru, c’est à la fois se régaler et découvrir un écosystème vertueux à l’impact résolument positif, sur l’environnement et sur l’assiette.

